Spectacle "A la maison"
d'Alain Lahaye
par la compagnie Ceci Cela
Le spectacle a été joué sur deux jours consécutifs; le 15 octobre 2021 à la salle du Vieux Moulin à Yvetot et 16 octobre 2021 à la Maison Jacques Prevert à Dieppe.
Il se présente sous la forme d'un monologue joué par Denise Aron Schröpfer dans le personnage de "Lucienne" et a été mis en scène par Cédrick Lanoë.
Annick Auzou fondatrice de l'association "Détente Arc en Ciel " a présenté au public la pièce d'Alain Lahaye qui aborde avec sincérité le thème de la vieillesse et de la dépendance au travers de l'entrée en EHPAD et du chamboulement de vie que celle ci entraine.
Plus largement, la pièce nous amène à une réflexion sur la prise en charge de nos ainés au plus près de leur humanité.
Alain Lahaye a donc cotoyé pendant trois ans les résdidents d'EHPAD afin de récolter leurs témoignages qui ont construit sa pièce qu'il dépeint comme "une pièce courte, crue, drôle et vraie".
Cédrick Lanoë, le metteur en scène, a su créer une proximité entre Lucienne et le public, ce dernier jouant le rôle de confident ayant une oreille attentive.
Les premiers instants de la pièce nous montrent Lucienne arrivant dans l'EHPAD et posant péniblement ses lourdes valises au sol comme si elle déposait toute sa vie entière à l'entrée d'un lieu inconnu . Puis c'est la chute, souvent le signe de la "défaillance physique", prise de conscience et point de départ vers la dépendance. Lucienne dans l'impossibilité de se relever seule nous montre déjà qu'elle a besoin d'aide en appellant au secours et finalement c'est une personne du public qui s'en charge, le début d'une complicité avec ce public qu'elle veut interpeller et prendre à partie.
En quelques minutes le décor est déjà planté ; la perte d'autonomie puis la dépendance brutale avec l'entrée dans un établissement qui va bousculer ses repères.
Lucienne évoque sa solitude et le manque de "vraies relations" comme quand elle avait son chat Mina qui savait la comprendre, tout son univers et son quotidien s'éffondre. Le thème de la solitude est abordé quand elle nous dit, nous le public : "je me seule, plus seule que seule !". Elle exprime aussi le manque d'attention et de considération de la part du personnel soignant et également le manque de visites de ses proches, le tout dans une indifférence générale.
Néanmoins Lucienne a de la ressource, elle a du caractère, est souvent drôle et malicieuse, nous montrant ainsi qu'elle est une personne à part entière avec sa personnalité, ses goûts (la musique, la lecture) et surtout son vécu. A ce propos elle se plait à nous narrer son passé, d'un air coquin, avec son amour disparu, le bel italien Salvatore ! Elle aime se remmémorer les souvenirs heureux d'une belle vie riche en voyages, cette vie qui a fait d'elle ce qu'elle est devenue maintenant.
Mais malgrè cela, le public sent poindre du désarroi et de la tristesse chez Lucienne quand elle évoque la perte de son identité lorsqu'on lui a pris toutes ses affaires à son arrivée, ainsi que le manque de respect et le sans-gêne de certains soignants qui utilisent par exemple ses produits de beauté. Le manque de gentillesse et d'humanité sont ici pointés du doigt car Lucienne est lucide et observe tout cela dans une profonde impuissance.
La tristesse est bien réelle quand elle voit mourir les résidents auxquels elle s'était attachée ; car des liens et des affinités se tissent au grés des confidences et tout cela est bien humain, à l'image du"vivre ensemble" qu'elle défend.
Et Lucienne nous montre bien son besoin de lien social, comme déjeuner avec les autres résidents et non pas seule dans sa chambre. Comme chaque être humain, elle a besoin de reconnaissance quand elle nous dit : "on m'aime bien". .Et, elle aime aussi aider les autes en rendant visite "à ses necessiteux“ et se sentir utile.
Comme dans un bouquet final, la fin de la pièce voit Lucienne nous livrer à coeur ouvert, tour à tour ses ressentis, ses émotions et son point de vue sur sa nouvelle vie en EHPAD.
Mais malgrés tout, Lucienne reconnait l'utilité d'une institution comme celle-ci lorsque la dépendance s'installe et déclare haut et fort qu'elle se battra "la tête haute".
"Hauts les coeurs" clame t'elle en affirmant l'importance des petits plaisirs et en prenant son accordéon. "Carpe Diem"!!! Il n'y a que le temps présent qui compte et le verre de vin qu'elle partage avec le public est le plus beau symbole qu'elle nous offre en bravant les interdits.
Il est le symbole même de sa révolte: "je ne veux pas mourir" " je veux continuer à vivre !!!"
Elle veut rester debout et digne !
Selon elle, la vie en EHPAD ne doit pas être une aide à mourir mais plutôt une aide à vivre.
Lucienne demande simplement de la gentillesse et de l'humanité et même si elle excuse la maladresse et la mauvaise humeur, elle n'acceptera jamais la brutalité, la maltraitance et l'indifférence. Elle sait bien pourtant qu'elle doit apprendre à subir car elle se sent vulnérable.
Elle ne veut pas être oubliée car la solitude du grand âge est un enfermement, une prison et ce qu'il lui manque le plus c'est de parler à coeur ouvert et surtout d'être écoutée.
La pièce se termine sur cet appel au secours qui demande au public de témoigner et de relayer ses propos.
Un temps de partage avec le public :
A l'issue de cette pièce s'en est suivit un temps de paroles et de partage entre le public, le metteur en scène, l'actrice et Annick Auzou.
Plusieurs thèmes ont été abordés comme l'importance de l'écoute du résident de la part du personnel soignant. Le sous effectif de ce dernier a été évoqué ayant pour conséquence un rythme soutenu de travail et un temps limité consacré pour chaque résident.
La déléguée aux associations de la mairie d’Yvetot le 15 octobre, Marie-Claude Héranvalle et l‘adjointe au maire de Dieppe (chargée des solidarité en particulier) le 16 octobre, Madame Marie-Luce Buiche ont pris la parole avec chacune des points communs dans leurs propos quant au sujet du placement d'un parent et ont témoigné de la perte d'intimité de celui-ci lors des temps de rencontre avec elle. L'idée de la création d'un lieu dédié pour la visite de la famille a été émise. Elles ont également évoqué le manque de personnel et le manque de temps accordé à chaque patient.
Une personne du public a déclaré au sujet de la pièce : " Tout est dit et vos yeux parlent" en évoquant le jeu de l'actrice. Cette même personne a évoqué le déchirement et le choc d'avoir placé un de ses proches en EHPAD.
Une autre personne déclare que rien ne semble avoir changé au fil des années et que les EHPAD semblent être gérés comme une entreprise, le problème étant structurel selon elle.
D'autres reflexions émanent du public comme l'indifférence qui reigne ("on ne s'occupe pas des gens humainement !"), la difficulté à tisser des liens et le désir de prendre en compte la singularité de chaque personne.
La période difficile du confinement a été évoquée également avec la nécessité pas toujours évidente d'utiliser des nouvelles technologies (tablettes numériques).
Le docteur Antoine Tillaux, président de l'association Détente Arc en ciel et officiant au sein même d'un EHPAD de Dieppe, sur ce sujet a reconnu des conditions de travail difficiles mais a surtout voulu affirmer sa volonté de se diriger vers une prise en charge plus humaine pour que chaque résident ne soit pas identifié seulement à un dossier médical mais plutôt à un être humain, une personne à part entière. Selon lui la connaissance de la vie passée du résident ainsi que ses goûts doivent être pris en compte car cela peut devenir l'occasion une vraie richesse relationnelle avec les soignants.
Annick Auzou a enchainé avec l'importance primordiale de la formation du personnel soignant afin que celui ci soit sensibilisé à l'écoute active afin de prendre en compte au plus près la vérité du patient avec la nécessité de ne rien imposer à celui-ci.
Il est nécessaire d’entendre le résident s‘exprimer quand il dit par exemple: “qu’il serait mieux mort“. La reformulation peut aider, alors, à le recentrer sur son essentiel et/ou sur ses angoisses tellement légitimes, dans son présent si perturbé ! … Selon Annick, il est urgent de "faire descendre cette humanitude (en donnant les moyens au personnel) sur le terrain et dans les services".
Philippe Brousse, bénévole coordinateur au sein de l'association Détente Arc en Ciel, a voulu nuancer le fait que tout n'était pas négatif et que chaque soignant avait sa propre sensiblité face à ce problème de prise en charge. Certains ont une véritable approche humaine face à la prise en charge des résidents.
Antoine Tillaux, pour conclure a rappelé que l'existence des structures d'hébergement pour les personnes âgées était relativement récente et que de nos jours la cellule familiale avait du mal à garder ses anciens auprès d'elle. C'est face à cette évolution de la société qu'il a fallu dans l'urgence créér ces structures et de ce fait l'entrée en institution est la plupart du temps non choisie par la personne elle même générant souvent un désarroi.